Pharmaciens : pourquoi choisir l’exercice coordonné ?
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Réponse aux déserts médicaux, source d’échanges interprofessionnels plus riches, valeur ajoutée pour les patients, l’exercice coordonné pourrait demain devenir la norme. C’est en tout cas le souhait des pouvoir publics. Une majorité des pharmaciens d’officine y voient une évolution positive, mais beaucoup hésitent encore à franchir le pas de l’interprofessionnalité, cadre pourtant propice à l’épanouissement des nouvelles missions. Explications.
Pourquoi l’exercice coordonné devient-il incontournable ?
Pour améliorer l’accès aux soins de proximité, le Gouvernement vise 4 000 Maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) et 1 000 Communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sur le territoire d’ici 2026. Actuellement, il existe 2 251 MSP et 803 CPTS. L’exercice isolé doit devenir « l’exception » affirmait le ministre de la santé François Braun début 2023. De fait, le cloisonnement des prises en charge a montré ses limites et la désertification médicale à l’œuvre pousse à accentuer la coordination des forces vives de la santé autour du patient. L’enjeu ? Une prise en charge plus pertinente, plus globale et plus efficace.
Sur le terrain, les échanges interprofessionnels se multiplient, renforcés depuis la crise de la COVID-19, inaugurant de nouveaux partages de tâches et jetant de nouvelles passerelles entre la ville et l’hôpital et entre libéraux de santé. L’impulsion forte donnée par les pouvoirs publics à ce mouvement de fond, conforté par de récentes propositions de loi (Rist et Valletoux), tend à faire de l’exercice coordonné la règle pour les professionnels de santé, du moins une condition indispensable pour exercer certaines missions.
La loi HPST de 2009 a permis de formaliser le principe de la délégation d’actes et d’inclure le pharmacien dans la coopération interprofessionnelle. Depuis, l’officine s’affirme comme un pilier de cette réorganisation des soins, qui nécessite un partage fluide et sécurisé des données de santé, facilité par les outils du Ségur du numérique en santé (dossier médical partagé, messageries sécurisées, ordonnance numérique…). Au point que, dans les années à venir, l’exercice coordonné pourrait devenir pour les pharmaciens « un cadre de référence », selon l’Ordre National des Pharmaciens.
Le guide pour comprendre comment participer à l’exercice coordonné
Pourquoi les pharmaciens ne s’engagent-ils pas encore massivement ?
L’engagement des pharmaciens d’officine dans l’interprofessionnalité paraît encore timide. Aucun chiffre officiel n’a été publié à ce sujet, mais divers sondages permettent d’estimer le taux de participation des pharmaciens à l’exercice coordonné : de 20 à 35% selon les sources. Une statistique en constante évolution, puisqu’elle prend le pouls d’un phénomène en pleine structuration. Seulement environ un tiers (34,9 %) des pharmaciens se seraient lancés dans l’interprofessionnalité́ évaluait le Quotidien du Pharmacien en octobre 2021 tandis qu’une large majorité (77,7 %) en ont une opinion favorable – une adhésion particulièrement marquée chez les jeunes. À titre indicatif, quatre médecins généralistes sur dix sont installés dans un groupe pluriprofessionnel selon la DREES.
Pourquoi ce décalage entre l’intention et la réalité ? Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer, dont les démarches administratives, souvent jugées complexes et chronophages, mais aussi le manque de médecins. Rappelons que pour voir le jour, une MSP doit être portée par deux médecins et un paramédical au minimum. Un autre frein réside dans la difficulté de bousculer les corporatismes : la délégation d’actes des médecins aux pharmaciens ou aux infirmiers est parfois plus simple à concevoir qu’à mettre en œuvre. Pour y parvenir, la clé – nécessaire mais pas toujours suffisante – reste la volonté collective de professionnels d’un même territoire de coopérer.
Désireux d’encourager leurs adhérents dans la voie de l’interprofessionnalité, les syndicats de titulaires plaident pour décorréler les nouvelles missions de l’obligation d’exercice coordonné, ainsi que pour des modalités plus simples et adaptables de coordination autour du patient. Dans cet esprit, l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS) promeut depuis quelques années les équipes de soins coordonnées avec le patient (ESCAP). Centrées autour du patient plutôt que sur un territoire, elles requièrent au moins trois professionnels de santé dont le médecin traitant. Une expérimentation de ce modèle doit voir le jour au 1er semestre 2024 sur le territoire français et pour trois ans, ciblant les patients de plus de 65 ans atteints de polypathologies chroniques, ayant fait un AVC et ayant été hospitalisés, en soins palliatifs ou diabétiques sous insuline.
Quel intérêt pour les pharmaciens d’officine ?
Pour les pharmaciens, l’exercice coordonné présente des intérêts pluriels. Beaucoup de confrères saluent le relationnel amélioré avec les autres professionnels de santé, le parcours de soins fluidifié, le gain de sécurité pour la prise en charge de cas complexes ou encore la possibilité d’élaborer des protocoles de soins spécifiques. Autant de façons pour le pharmacien de valoriser son expertise et sa pratique.
De plus, la participation à un exercice coordonné rend les pharmaciens éligibles à une rémunération sur objectifs (anciennement ROSP « structure ») de 820 euros en 2022, ainsi qu’à des rémunérations forfaitaires d’équipes et des intéressements collectifs – sans compter les différentes aides régionales à l’élaboration des projets de santé et au fonctionnement des structures.
Enfin, plusieurs missions facultatives du pharmacien sont conditionnées à un exercice coordonné, en particulier :
- Le pharmacien correspondant : ce dispositif limité pour le moment aux zones sous-denses en médecins*, permet au pharmacien, à la demande du médecin ou avec son accord , de renouveler périodiquement des traitements chroniques et si besoin d’ajuster leur posologie. Une mission rémunérée 2 euros TTC par patient (de 1 à 100 patients) ou 1 euro TTC par patient (au-delà de 100 patients), dans la limite de 500 euros TTC par an.
- La dispensation sous protocole : la loi autorise, pour certaines pathologies, le pharmacien à dispenser sans ordonnance médicale des médicaments dont la liste est fixée par arrêté . Cette possibilité s’applique actuellement dans le cadre de protocoles de coopération de soins non programmés pour la prise en charge de l’angine et de la cystite. La rémunération forfaitaire pour l’équipe est de 25 euros par patient (librement partagée entre le médecin délégant et le pharmacien délégué).
- La téléconsultation en officine dans les cas où les patients ont besoin d’y recourir en dehors du parcours de santé coordonné par le médecin traitant. Sa rémunération : 25 euros TTC par tranche de 5 téléconsultations, plafonnée à 750 euros TTC par an, avec un forfait d’aide à l’équipement de 1 225 euros la première année uniquement.
*réparties en 2 catégories, selon des critères déterminés par les agences régionales de santé (ARS) : les ZIP (zones d’intervention prioritaire), les plus fragiles ; les ZAC (zones d’action complémentaire), fragiles mais à un niveau moindre.
À l’heure où le Ségur du numérique en santé généralise les outils de partage d’information entre professionnels de santé, toutes les planètes s’alignent pour inaugurer une nouvelle ère de coopération. La pharmacie a toute sa place au cœur de cette pratique d’avenir.
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